Pour cette ultime émission de l’année 2022, Eco d’ici, Eco d’ailleurs revient sur quelques grandes thématiques de cette année économique plus que mouvementée, et donne la parole à certains de nos invités les plus marquants comme l’économiste américain Jeremy Rifkin ou le financier ivoirien Stanislas Zeze, patron de Bloomfield Investment Corporation.
Avant cela, et dans la première partie de l’émission, nous ouvrons notre micro à l’un des acteurs majeurs de l’industrie bancaire en Afrique. Mustafa Rawji est le directeur général de Rawbank, première banque privée de RDC créée en 2002 et dont le siège social se situe à Kinshasa. Ce descendant d’une famille indienne installée depuis plus d’un siècle en Afrique détaille sa vision de la finance sur le continent, des services à offrir à ses clients et aux entreprises malgré les difficultés inhérentes à la République démocratique du Congo.
RFI : Quelles sont les perspectives de développement pour votre banque qui progresse dans le classement des champions de la finance africaine publiées par le magazine Jeune Afrique ?
Mustafa Rawji : Les perspectives de développement sont très positives actuellement et sur plusieurs secteurs d’activité en RDC. Nous sommes la plus grande banque du pays avec 30% de parts de marché et nous sommes extrêmement optimistes sur ce que l’avenir va apporter.
Même si la concurrence avec Equity par exemple est féroce.
La concurrence existe et je pense que nous ne vivons pas dans un monde utopique où il n’y aura aucune concurrence. Je salue même l’arrivée de différents concurrents sur notre marché parce que je crois très fermement que plus il y a de concurrence, plus le marché lui-même s’élargit. Nous sommes dans un pays avec une culture financière assez faible. Plus des banquiers existent, plus la culture financière s’intègre, plus ces opportunités se créent.
Quand les banques occidentales pensent plutôt à quitter le continent africain, y voyez-vous une opportunité pour construire des champions de de la finance africaine ?
Absolument, nous pensons que c’est une excellente opportunité, une place ouverte pour améliorer, innover et plus ou moins remplacer les services financiers qu’ils étaient habitués à offrir en RDC. Je pense que nous, parmi d’autres banques, avons cette opportunité de devenir des champions d’Afrique sur le plan financier.
Est-ce un enjeu de souveraineté pour les Africains ?
Enjeu de souveraineté, non. Une souveraineté économique si vous voulez. Mais je pense que les banques africaines agissent plus ou moins sur le même principe que les banques occidentales. Le métier de banquier ne change pas selon qui est le propriétaire d’une banque. Nous suivons les mêmes règles, la même philosophie. Mais l’avantage que nous avons, c’est que nous pouvons mieux nous adapter aux cultures et aux exigences locales. Nous sommes plus proches des consommateurs par rapport aux banques européennes ou américaines.
Quelles sont vos activités les plus rentables ? Les services financiers pour les particuliers, pour les entreprises, vos autres activités dans le domaine de l’énergie par exemple ?
À l’origine, nous sommes une banque qui sert plutôt les grandes entreprises. 20 ans plus tard, nous voyons que les axes de rentabilité ont vraiment changé. Aujourd’hui, la moitié de notre activité est axée sur les grandes entreprises et l’autre moitié vise à soutenir les PME et les consommateurs, les clients retail ou les particuliers. Plus la classe moyenne se développe dans notre marché en RDC, plus nous devons offrir des services innovants.
Il y a quand même une difficulté. Elargir les services financiers, c’est plus compliqué dans un pays où le taux de bancarisation est très faible, de même que le taux de pénétration d’internet.
Je dirais que la digitalisation est une opportunité. L’accès aux infrastructures digitales peuvent représenter un certain défi mais comme vous le constaterez dans des pays où l’infrastructure rurale n’est pas très bien développée, les antennes de télécoms arrivent plus facilement à desservir un rayon d’un village ou d’une petite ville. Le taux de pénétration aux services mobiles est beaucoup plus fort que ce que les agences bancaires peuvent atteindre. Donc toute la question aujourd’hui est : comment créer des partenariats avec les opérateurs télécoms ?
Vous le faites ?
Oui tout à fait. Nous sommes en pleine discussion avec les opérateurs. Parce que l’inclusion financière est un sujet qui intéresse les opérateurs télécoms, les banques, et je dirais même l’État. Donc chacun mobilise ses énergies et met sur la table sa force pour créer une complémentarité pour mieux atteindre ceux qui auront besoin d’un service financier.
Il y a une étude récente du cabinet Target qui dit que la majorité des agences bancaires sont situées dans les quartiers résidentiels à Kinshasa plutôt que dans les quartiers populaires sans parler des campagnes ou des zones rurales.
Pour une banque, déployer une agence bancaire a un certain coût. Il faut considérer non seulement les loyers, et quand les infrastructures ne fonctionnent pas totalement bien, il faut des groupes électrogènes, il faut des moyens logistiques, il y a des mesures de sécurité à prendre. Donc je pense que la solution sera de développer un réseau d’agences mais qui n’est pas totalement géré par des banques. L’idée, c’est de créer un partenariat avec des petits commerces qui existent dans tous les quartiers populaires et de créer un réseau qui offre les services les plus basiques. Avoir un compte, y verser de l’argent ou faire un petit retrait, une transaction assez basique sur un terminal de paiement. Le consommateur va y gagner parce que nous constatons que les agences bancaires en RDC sont inondées de clients. Il faut absolument disperser cette base de clientèle pour améliorer la qualité de service. Les banques ne seront pas capables de construire 1.000, 2.000, 5.000 agences telles que ça existe peut-être en Inde ou en Chine ou dans d’autres pays. Le digital, c’est le seul levier pour mettre en valeur et capturer ou offrir un service correct à notre clientèle.
Pour chercher de nouveaux clients, il faut aussi aller chercher du côté des femmes. Vous avez parlé des services aux entreprises, c’est aussi l’entrepreneuriat féminin qu’il faut encourager. Qu’est-ce que vous faites pour elles ?
L’entrepreneuriat féminin est au cœur de la stratégie PME de la Rawbank. Depuis 10 ans, nous avons un programme qui s’appelle Ladies First. Nous avons soutenu, via des formations ou des financements, autour de 2500 femmes entrepreneures qui aujourd’hui ont développé leurs activités. En tant que banquier, c’est le genre de choses qui vous donne le plus de joie. De voir quelqu’un qui commence avec une activité assez réduite en taille et 10 ans après, qui a une vraie entreprise. Le développement des PME est un axe critique pour notre banque. Nous avons dans nos objectifs stratégiques pour 2025 le financement de 20.000 PME en RDC. Et donc nous sommes en train de déployer une infrastructure assez massive en interne. Des formations assez accentuées, une campagne de recrutement pour arriver à ce résultat en décembre 2025.
Votre banque a aussi des liens très forts avec la Chine et a mis en place pour les transferts d’argent un service spécialisé. Pourquoi se lancer avec la Chine en particulier ?
Vous savez, le Congo est un melting-pot commercial, avec des personnes qui viennent de partout dans le monde. Le secteur minier est actuellement dominé par les producteurs venus de Chine et qui produisent le cuivre et du cobalt. Nous avons donc des citoyens chinois qui viennent travailler en RDC et qui, à la fin peut-être, deviendront même des résidents. Le produit Visa et Mastercard, c’est un produit monétique mondial. L’équivalent en Chine s’appelle Union Pay. Nous sommes la première banque en Afrique à le proposer sous la marque China Express
L’une des grandes nouveautés de cette fin d’année 2022, c’est l’interconnexion des marchés financiers africains. La possibilité d’investir plus facilement dans d’autres pays de la région ou du continent.
On devrait pouvoir offrir ce service à nos clients. Le gouvernement congolais est en train de réfléchir à la création d’une bourse de valeur en RDC. Ce serait une première. Si on arrive à le faire, ça serait une magnifique avancée dans notre environnement. Des entreprises pourraient lever des fonds, offrir des actions dans d’autres pays périphériques en Afrique qui pourraient être intéressés par une participation dans un société en RDC.